Les femmes dans le nom des rues bruxelloises. Topographie d’une minorisation
Sur base d’un relevé systématique des noms de voiries (odonymes) et d’entretiens avec des responsables communaux·ales en charge de l’attribution des noms de rues, des enseignant·e·s et étudiantes en sociologie de l’Université libre de Bruxelles dressent un panorama interpelant dans cette nouvelle parution de Brussels Studies : celui du peu de visibilité des femmes dans l’espace odonymique (le nom des lieux), mais aussi des difficultés qui s’opposent à celles et ceux qui ont entrepris de faire changer les choses.
Si une rue bruxelloise sur deux célèbre des personnes, la probabilité qu’il s’agisse d’un homme est dix fois supérieure à celle qu’il s’agisse d’une femme. En moyenne en effet, pour l’ensemble des communes, 46 % des odonymes sont masculins et 4 % seulement féminins. Ce déséquilibre, largement hérité, mais non pour autant immuable, se double d’ailleurs d’autres formes de minorisation des femmes. Les auteur·trice·s relèvent par exemple une présence féminine moindre plus on s’élève dans la hiérarchie des voiries, sauf dans le cas de souveraines qui figurent parmi les trois représentations féminines principalement véhiculées par les noms de rues (et qui laissent peu de place à la majorité des Bruxelloises) : la personnalité individuelle, la figure royale et la figure sainte ou surnaturelle.
Ces disparités sont largement connues aujourd’hui. Les communes, compétentes en matière d’attribution des noms, affichent d’ailleurs toutes des stratégies en faveur de la présence des femmes dans les noms de la ville, tout comme dans la gestion communale. Différents groupes de travail, appels à participation de la population ou collaborations avec des collectifs ont notamment été mis sur pied. Les propos rassemblés dans l’article rappellent toutefois que derrière une unanimité de façade, des résistances existent dans le chef de certains élus et parfois de la population, qu’il convient de consulter à propos de changements de noms de rues. Il faut ajouter à ces freins la difficulté concrète de féminiser les voiries : changer les noms existants s’avère extrêmement lourd et les nouvelles voies à nommer sont rares et généralement de moindre importance. Faute d’opportunité, certaines élues envisagent donc de féminiser plutôt les bâtiments publics, stades, piscines, jardins, parcs, monuments ou arrêts de transports publics. Ces débats actuels sur la féminisation des noms de rues ne sont d’ailleurs pas sans en rappeler d’autres sur la décolonisation de l’espace public et la non-représentation de larges pans de la population dans celui-ci (les minorités et classes populaires en particulier). En travaillant à donner plus de visibilité aux femmes et à ces groupes dans l’espace viaire, les normes et les pratiques qui dominent la fabrique de l’espace public sont en effet appelées à être bousculées et, avec elles, les mentalités de celles et ceux qui habitent la ville.
L’étude complète est disponible dans le revue Brussels Studies :
Nouria Ouali, Pierre Lannoy, Virginie Desamoury, Sandrine Guilleaume, Fanny Mayné, Sophie Merville, Charlotte Odier et Adèle Thébaux, « Les femmes dans le nom des rues bruxelloises. Topographie d’une minorisation », Brussels Studies [En ligne], Collection générale, n° 154, mis en ligne le 07 mars 2021. URL: http://journals.openedition.org/brussels/5376