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Roger Nols : un bourgmestre (in)déboulonnable ?

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Dans le grand hall de l’hôtel communal de Schaerbeek trônent les bustes des anciens bourgmestres. Parmi eux, celui de Roger Nols déchaine les passions. Faut-il conserver cette représentation de celui qui effectua quatre mandats successifs à la tête de la commune (1970-1976-1982-1988), sous les bannières du FDF, de listes « N.O.L.S. » et du PRL, tout en défrayant régulièrement l’actualité nationale ? Dans la mémoire collective, l’évocation de Roger Nols est en effet associée aux conflits communautaires et à ses prises de position xénophobes accompagnées d’une dérive vers l’extrême droite. Toutefois, résumer sa carrière politique à ces seuls éléments ne permet pas de comprendre sa longévité et surtout ses larges victoires électorales. Le débat sur la présence de son buste à l’hôtel de ville de Schaerbeek invite donc tout à la fois à un regard rétrospectif et à une remise en contexte de ses mandats en tenant compte de l’évolution d’une commune très marquée par de rapides transformations urbanistiques et sociales ainsi que par les débats nationaux sur les questions linguistiques et migratoires. C’est ce à quoi nous invitent les historiens Joost Vaesen (Vrije Universiteit Brussels) et Serge Jaumain (Université libre de Bruxelles), dans le 168e numéro de Brussels Studies, en présentant les résultats d’une recherche du Brussels Studies Institute (BSI) commandée par la commune de Schaerbeek.

A travers l’analyse de travaux relatifs à l’histoire de la commune et de la Belgique pendant la période « nolsiste », complétée par une dizaine d’entretiens avec des témoins clés, les auteurs rappellent et tentent de décrypter l’adhésion au discours radical de Nols d’une partie importante des électeurs schaerbeekois et bruxellois en général (92 969 voix de préférence aux élections européennes de 1984). Si cette personnalité fut très populaire, ceci ne doit toutefois pas occulter le fait que ses actions suscitèrent aussi des oppositions marquées. De « l’affaire des guichets séparés » (pour les néerlandophones et les personnes d’origine étrangère, de 1971 à 1976) à son arrivée à dos de chameau à la maison communale (31 décembre 1986), en passant par l’invitation du leader français d’extrême droite Jean-Marie Le Pen en 1984, l’homme politique schaerbeekois eut en effet l’art de susciter les plus vives polémiques. Elles contribuèrent à mobiliser de nombreux Schaerbeekois au sein d’un vaste tissu associatif particulièrement dynamique dans la lutte contre le racisme et l’exclusion sociale, dont émane aujourd’hui une demande de retrait du buste.

Les débats en cours autour de Roger Nols – tout comme ceux autour notre passé colonial – soulèvent pour les deux historiens la question des interactions complexes entre le passé et le présent. Les propositions actuelles sur le sort à réserver au buste se situent dans un continuum entre celles et ceux qui demandent de « ne rien faire du tout » (craignant de tomber dans une certaine forme de révisionnisme historique et/ou de rouvrir les plaies du passé) et celles et ceux qui veulent voir disparaître ce buste (pour marquer clairement la réprobation que suscite aujourd’hui la politique nolsiste). Entre ces deux extrêmes se situe une variété d’options qui mériteraient d’être discutées de manière approfondie au sein de la commune, comme l’ajout d’un cadrage historique (textuel ou visuel) ou une contestation bien visible du buste en question (par exemple via une transformation ou un déplacement de celui-ci). L’ensemble de ces stratégies renvoie au final à la question de notre traitement du passé lorsque celui-ci est contesté et sensible, tout en illustrant à quel point il est aussi complexe de mener un dialogue raisonné avec le passé que risqué d’appliquer le principe de « l’oubli historique ».

Références complètes de l’article: Serge Jaumain et Joost Vaesen, « Roger Nols : un bourgmestre (in)déboulonnable ? »Brussels Studies [En ligne], Collection générale, n° 168, mis en ligne le 02 mai 2022, http://journals.openedition.org/brussels/6055