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En finir avec la tarification progressive de l’eau à Bruxelles ?

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Au 1er janvier 2022, les deux tiers des ménages bruxellois ne disposant pas d’un compteur d’eau individuel dans leur logement passeront à une tarification linéaire du prix de l’eau, au lieu de la tarification progressive actuelle, pourtant présentée comme un progrès lors de sa mise en place en 2005. Pourquoi ce retour en arrière de la part du législateur bruxellois ? Quelles différences y a-t-il entre ces deux types de tarification ? Et quelles inégalités d’accès à l’eau ce changement est-il amené à résoudre, ou bien va-t-il créer ? Ce sont à ces questions que répondent un collectif de sept chercheur·e·s en sciences humaines de l’Université libre de Bruxelles dans la nouvelle publication de Brussels Studies (Xavier May, Jean-Michel Decroly et Léa de Guiran de l’IGEAT ; Pauline Bacqaert et Chloé Deligne du LIEU ; Pierre Lannoy et Valentina Marziali de METICES).

Partant des deux objectifs louables qui avaient présidé à l’adoption de la tarification progressive en 2005 (dite « tarification solidaire », suivant le principe d’un prix croissant en fonction du volume d’eau consommé par personne, selon quatre tranches), les auteur·trice·s démontrent que cette tarification n’est au final ni sociale ni écologique. Ils s’appuient notamment sur une critique de la présentation classique qui est faite de la relation entre revenu et consommation en eau et sur les données d’une enquête sur les conditions de vie des ménages (enquête SILC 2017).

Pas sociale d’abord, car l’analyse montre que la tarification progressive ne bénéficie pas aux ménages les plus pauvres : elle profite aux ménages qui consomment peu d’eau (par personne), mais ceux-ci se retrouvent en réalité autant dans les bas que les hauts revenus. La tarification solidaire ne l’est donc pas et elle n’est pas non plus sociale puisqu’elle ne favorise pas les bas revenus. Rien n’indique donc que les ménages aisés participent davantage que les plus pauvres au financement du service de distribution et d’assainissement de l’eau.

D’autre part, l’argument écologique qui voudrait qu’une tarification progressive incite les ménages à économiser la précieuse ressource n’est pas prouvé, à Bruxelles comme dans d’autres villes. La baisse de la consommation en eau qui s’observe est vraisemblablement due à d’autres facteurs que le prix, tels que la diffusion d’appareils consommant de moins en moins d’eau. À nouveau, un lien existe ici avec les moyens d’existence : ce sont les ménages aisés qui bénéficient des installations sanitaires de meilleure qualité et des électroménagers les plus économes, leur permettant de demeurer dans les tranches tarifaires les plus avantageuses.

L’article se conclut par une proposition argumentée de généraliser la tarification linéaire à tous les foyers, petits ou grands, plus ou moins nantis, dotés ou non d’un compteur individuel, à partir de 2022. Les auteurs et autrices en rappellent les raisons, qui permettront de réinstaurer plus d’équité entre les ménages à Bruxelles. Ils soulignent aussi la simplification administrative importante à laquelle la mesure aboutirait, puisque l’opérateur Vivaqua ou les propriétaires de compteurs collectifs n’auraient plus à connaître précisément le nombre d’habitants par logement, ce qui pourrait aussi se répercuter sur les coûts facturés aux habitant·e·s.

L’étude complète est disponible dans le revue Brussels Studies :

Xavier May, Pauline Bacquaert, Jean-Michel Decroly, Léa de Guiran, Chloé Deligne, Pierre Lannoy et Valentina Marziali, « Pourquoi ne pas en finir avec la tarification progressive de l’eau à Bruxelles ? »Brussels Studies [En ligne], Collection générale, n° 156, mis en ligne le 09 mai 2021, consulté le 10 mai 2021. URL : http://journals.openedition.org/brussels/5494