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Le coliving ou la financiarisation des maisons bruxelloises

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En janvier 2023 se déroulait l’enquête publique sur le projet de réforme du Règlement Régional d’Urbanisme (RRU). Dans sa rubrique « habitabilité », le projet détermine les règles minimales visant l’organisation interne des bâtiments afin d’assurer confort et qualité de vie à leurs occupants. Car force est de constater que depuis l’adoption du dernier règlement en 2006, de nouvelles pratiques et de nouveaux acteurs sont apparus sur le marché du logement, qu’il s’agisse du phénomène des colocations ou du développement d’une offre non hôtelière pour (très) courts séjours. Parmi ces nouvelles niches immobilières, le coliving est encore très peu connu. Il désigne la location dans un même bâtiment, par des sociétés de gestion privées, de chambres accompagnées d’espaces communs et de services. Depuis 2016 toutefois, le secteur est en progression rapide à Bruxelles. Quelle est l’ampleur de ce phénomène et quelles en sont ses caractéristiques ? Comment expliquer son développement rapide ? Quels acteurs l’organisent ? Pour répondre à ces questions, la géographe Charlotte Casier (IGEAT) a inventorié et cartographié de manière quasiment exhaustive l’offre de coliving existante en août 2022. Pour en comprendre le fonctionnement, elle a également mené des entretiens approfondis avec une quinzaine de professionnels de sept sociétés spécialisées. Le 179e numéro de Brussels Studies présente une synthèse de ses résultats.

Si le secteur du coliving reste encore modeste dans la capitale (la chercheuse identifie environ 290 établissements et 2800 chambres en 2022), ses caractéristiques morphologiques – principalement des grandes maisons bruxelloises rénovées – et son implantation spatiale – Ixelles, Bruxelles-Ville, Saint-Gilles, Etterbeek et Schaerbeek – ne sont pas sans avoir un impact réel sur le marché immobilier dans ces quartiers, tirant les prix vers le haut et accentuant la concurrence entre acheteurs et locataires.

Deux raisons principales expliquent l’émergence du coliving. Premièrement, la formation d’une demande pour des logements meublés au bail flexible, concomitante à la flexibilisation accrue du marché du travail et au retardement du début des carrières pour des jeunes adultes qualifiés et mobiles. L’importance du secteur international à Bruxelles renforce cette tendance en attirant de nombreux jeunes expatriés en contrat court, en stage ou volontariat : dans les données partagées par l’une des sociétés opératrices, près d’un tiers des locataires du coliving étaient Français, pour un tiers étaient des étrangers majoritairement originaires de l’Union européenne (hors Belgique et France) et un tiers étaient Belges – souvent non bruxellois. Le second facteur explicatif réside dans la financiarisation du logement et en particulier du secteur résidentiel locatif privé. Celle-ci relève notamment de l’implication croissante de fonds d’investissement et de sociétés cotées en bourse, mais aussi des transformations des stratégies de placement des ménages nantis. L’existence de sociétés jouant le rôle d’intermédiaires et de gestionnaires, telles que Cohabs, ShareHome Brussels, Ikoab, Colive et Coloc Housing (les plus importantes en nombre de chambres), offre aux investisseurs des produits faciles d’accès, sûrs et rentables.

Avec des rendements élevés estimés entre 6 et 8 %, il est probable que le secteur continue sa croissance dans les années à venir, d’autant qu’il répond à un segment du marché du logement (celui du logement meublé partagé transitoire) inexistant sous d’autres formes. Face aux concurrences que le coliving génère sur le marché, en particulier sur le stock de maisons unifamiliales, il apparaît essentiel que le politique s’empare concrètement de la problématique. Cela pourrait passer par l’intégration de logements meublés partagés à bail flexible dans le secteur social, par la régulation des loyers proposés ou par une action sur la surface minimale des chambres et la densité des projets de coliving, actuellement absente du projet de RRU.

Pour lire l’étude complète: Charlotte Casier, « Le coliving ou la financiarisation des maisons bruxelloises »Brussels Studies [En ligne], Collection générale, n° 179, mis en ligne le 24 avril 2023, URL : http://journals.openedition.org/brussels/6781