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Marche à suivre. Rencontres scientifiques « Arts et Géographies »

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La géographie, les arts et l’histoire de l’art partagent un certain nombre d’objets, de sujets, de méthodes ou de notions communs, parmi lesquels figurent notamment le paysage, l’environnement, l’espace public, la ville, les arts graphiques ou encore la photographie, entre autres modes de représentation. Depuis sa première édition en 2016, les rencontres scientifiques « Arts et Géographies » se donnent pour objectif premier de réfléchir et de concrétiser les liens existants entre ces disciplines, qui ne sont que trop rarement examinés, en vue de créer entre elles de nouvelles passerelles, tant théoriques que méthodologiques.

La cinquième édition s’est articulée autour de la marche, outil et démarche indissociable de la pratique de terrain des géographes, mais également de celle des artistes arpenteurs, qui font du territoire la matière première de leur œuvre. elle s’est déroulée à Bruxelles, du 26 au 30 octobre 2020, avec le soutien du FNRS, d’EBxl (Université libre de Bruxelles) et de l’IRIB (Université Saint – Louis — Bruxelles)

Avant toute chose, la marche constitue notre moyen premier de déplacement. Pourtant, marcher n’est pas que mettre un pied devant l’autre : la marche révèle voire génère des inégalités (en termes d’accessibilité, de genre, de classe sociale, de territoire), tout en soulevant des questions techniques (en matière d’aménagement, de coexistence de modes de transports), qui ont amené de nombreux chercheur. e. s en sciences humaines à interroger cette pratique à priori si banale, mais dont l’expression varie sans cesse dans l’espace et dans le temps. De mode de locomotion individuel, la marche peut aussi se faire collective, festive ou revendicative, entrainant des politiques publiques, des mesures d’aménagement et de sécurité particulières. Les joyeuses entrées, les parades, les processions réunissent participants et artistes dans les rues, au rythme du pas ; il en va de même pour les manifestations, dont le caractère contestataire s’accompagne souvent de mesures de contrôle des flux et de parcours autorisés.

À côté de ces marches utilitaires ou performatives, la marche se pratique également comme dérive, comme un support à l’exploration géographique et des sens, se fait moyen de penser et expérience existentielle. Depuis les textes de Baudelaire et de Walter Benjamin, la figure du « flâneur » apparait de manière régulière dans les travaux académiques et artistiques. Ainsi, la psychogéographie des villes parcourues à pied par des écrivains est-elle devenue un support fictionnel récurrent, et ce, depuis la fin du 19e siècle et l’avènement de la ville moderne. Car « la réalité est moins un espace connu en tous points qu’un ensemble complexe et partiellement inexploré : ensemble à éprouver, à parcourir, à visiter et revisiter, en se confrontant de manière répétée à un contexte en apparence connu, mais en apparence seulement » (Ardenne, 2002). La marche comme acte créateur s’est aussi invitée dans les approches développées par les artistes contemporains. Si les land artists privilégiaient les vastes paysages non urbains, le tissu des villes sert aujourd’hui de support à la déambulation d’artistes « marcheurs », dont les démarches (protocole d’observation et dispositifs de documentation) rencontrent et se mêlent à celles de chercheur. e. s en géographie.

Les rencontres « Arts et Géographies » prennent la forme d’une série de conférences données par des chercheur. e. s en sciences humaines et en histoire de l’art, ainsi que des artistes et des acteurs de terrain. Elles s’adressent aux chercheur. e. s et aux étudiant. e. s de Master et du doctorat, ainsi qu’aux membres de la société civile travaillant la question de la marche urbaine. Cette année 2020 toutefois, en raison des restrictions liées à l’épidémie de Covid, le public a été limité en nombre, afin de garantir la qualité des discussions en ligne.

Au travers de la dizaine d’interventions et des larges plages dédiées à la discussion, nous avons interrogé la marche comme moyen de déplacement, de connaissance, d’enseignement et de création. Une « expérimentation par la marche », une projection et des travaux pratiques sont venus compléter le programme, auxquels ont pris part les intervenants et les participants.

Enfin, en dehors de leur caractère interdisciplinaire affirmé, ces rencontres ont aussi pour particularité de s’inscrire dans le territoire qui les accueille, à travers la participation de nombreux intervenants locaux et de la tradition de la sortie de terrain en compagnie d’un. e artiste. Cette édition n’y a pas fait exception, comptant six intervenants bruxellois et mettant la marche en pratique à travers la proposition artistique de Jérôme Giller, artiste qui vit et travaille à Bruxelles.

Les interventions qui ont structuré le travail des X participants étaient le suivantes :

  • Tatiana Debroux (Géographie – Bruxelles, ULB), Pauline Guinard (Géographie – Paris, ENS) et Suzanne Paquet (Histoire de l’art – Montréal, UdM) : « Introduction, thèmes et repères généraux. Remarques introductives sur la marche, entre géographie et art »
  • Michel Hubert, Professeur de Sociologie, Université Saint-Louis – Bruxelles, et Aniss Mezoued, architecte urbaniste, Université catholique de Louvain : « Quand les sciences sociales s’emparent de la marche »
  • Eric Van Essche, Professeur d’Histoire de l’art, Université libre de Bruxelles : « En chemin, les artistes : de l’acte poétique à l’acte politique »
  • Pohanna Pyne Feinberg, Artiste audio-visuelle, chercheuse, professeure en histoire de l’art, Collège Dawson (Montréal)/Fondation Phi pour l’art contemporain : « Re-storying place: The pedagogical force of walking in the work of Indigenous artist-activists Émilie Monnet and Cam »
  • Laurence Brogniez, Professeur de littérature, Université libre de Bruxelles : « Battre le pavé, faire le trottoir : flâneurs et marcheuses à Bruxelles au XIXe siècle, au prisme de la littérature
  • Jérôme Giller, Artiste, vit et travaille à Bruxelles : “Dérivation, jeu urbain à l’usage du piéton”
  • Marie-Kenza Bouhaddou, Architecte, Urbaniste, Maitre de conférences associé en SHSA, Ecole nationale supérieure d’architecture de Lyon : “Marcher pour faire-trajet”
  • Jérôme Giller, Artiste, vit et travaille à Bruxelles : “La carte n’est pas le territoire”, Atelier de restitution de l’expérience de dérive sous la forme d’un travail de création de cartographies scientifiques et subjectives.
  • Benoît Dupriez, Géographe-urbaniste, attaché à la cellule Stratégie et Programmation, Bruxelles Mobilité : “Le point de vue de l’aménageur : comment le piéton façonne la ville”
  • Judith le Maire, Professeure de la Faculté d’Architecture de l’Université libre de Bruxelles : “La marche dans les processus participatifs d’aménagement des villes”

En dépit de ces conditions (pandémie covid-19 et mesure sanitaires), les Rencontres scientifiques ont été très fructueuses et enrichissantes pour tous les participant. e. s.

Il est à signaler que l’ensemble des intervenant. e. s ont maintenu leur participation et donné leur intervention en ligne, malgré l’inconfort des interventions virtuelles. En respectant les consignes officielles, il a néanmoins été possible d’organiser deux séances avec Jérôme Giller en présentiel, les mercredi et jeudi après-midi, qui ont été grandement appréciées. La proposition de cet artiste et le travail de terrain proposé sont apparus comme de véritables apports à l’évènement et un contrepoint utile aux savoirs scientifiques développés lors des autres séances et des discussions.

Le programme présenté ci-dessus illustre la richesse et la complémentarité des thématiques qui ont été abordées durant la semaine, un élément qui a d’ailleurs été apprécié par l’ensemble des participants. Chaque intervention a duré en moyenne 75 à 90 minutes, et a été suivie d’une heure d’échanges entre les participants. Au fil des séances, un savoir commun sur la marche s’est constitué dans le groupe, alimentant de manière croissante les discussions collectives. Sur le plan individuel, lors de la conclusion de l’évènement, plusieurs participant. e. s ont souligné les découvertes que leur avait permis de faire l’interdisciplinarité du programme, de même que sa formule hybride entre séances théoriques, discussions et travail de terrain et de restitution.