Inégalités sociales de réussite à l’Université. La performance académique au prisme des conditions de vie étudiante
Pour les quelque 140 000 étudiants et étudiantes que compte Bruxelles dans l’enseignement supérieur (chiffre de perspective.brussels, 2020), la mi-septembre correspond à la reprise des cours et de la vie étudiante. Durant cette année, l’acquisition de nouvelles connaissances ne constituera pas le seul défi à relever : étudier dans un logement familial trop exigu, travailler pour se loger ou ne pas pouvoir acheter le matériel de cours nécessaire font partie des conditions défavorables que rencontreront un certain nombre de jeunes poursuivant des études supérieures. Ces privations ont-elles une influence sur les performances académiques et à quel point ? Pour répondre à cette question, une vaste enquête a été menée auprès de l’ensemble des personnes inscrites à l’Université libre de Bruxelles à l’automne 2020. Une partie des résultats est présentée par le sociologue Joël Girès dans le 195e numéro de Brussels Studies.
Les chercheurs ont eu accès aux résultats académiques à la fin de l’année 2020-2021 pour les plus de 3 000 étudiant·es qui se sont prêté·es à l’enquête : la moyenne des points à leurs examens, le nombre de crédits réussis ou échoués et leurs grades. Un tel lien entre performances académiques et conditions de vie étudiante est rarement proposé, faute de données disponibles. Les résultats inédits présentés dans l’article sont attendus, mais éloquents : plus les privations sont grandes, plus les points obtenus sont bas.
Les étudiant·es ne déclarant aucune privation obtiennent en médiane 13,1/20 de moyenne (une moitié a plus que cette note, l’autre moitié a moins), alors que les étudiant·es en subissant au moins cinq ont en médiane 9,3/20. Entre ces deux groupes, il y a un écart de 3,8 points, ce qui est considérable. Pour le deuxième groupe, les risques d’abandon des études sont aussi trois à quatre fois plus élevés que tous les groupes déclarant moins de privations.
En contrôlant l’effet de l’ensemble des variables socio-économiques dont il disposait, l’auteur de l’article observe toujours un effet négatif des privations sur les points, indépendamment de l’origine sociale et familiale des étudiant·es. Les plus ou moins grandes difficultés économiques qu’ils et elles rencontrent semblent donc bien être un élément agissant dans la création d’inégalités académiques (en plus d’effets de rapports de classe et de racisation, également soulevés par l’enquête).
L’affirmation peut sembler triviale ; elle n’est pourtant pas assez prise en compte dans le traitement des inégalités sociales face à l’enseignement. Les dispositifs d’aide à la réussite à l’université, par exemple (guidances, coaching…), reposent en partie sur l’idée que les problèmes auxquels font face les étudiant·es modestes proviennent d’une forme de « déficit culturel » pour lequel des cours de méthodologie de l’apprentissage sont proposés. Sans nier l’importance de ces dispositifs, ils n’influencent pas toutefois les conditions matérielles de cet apprentissage qui, améliorées de façon structurelle, permettraient la réduction des inégalités face à la réussite académique.
Lire le texte complet: Joël Girès, « Inégalités sociales de réussite à l’Université. La performance académique au prisme des conditions de vie étudiante », Brussels Studies [En ligne], Collection générale, n° 195, mis en ligne le 15 septembre 2024, URL : http://journals.openedition.org/brussels/7842